Après avoir publié deux recueils de nouvelles et un roman remarqué, Miguel Bonnefoy, Vénézuelien qui écrit en français (pour le moment), curieux de tout pourvu que cela ait un rapport avec la littérature, s’est témérairement lancé un défi physique : participer à une expédition en pleine jungle, parcourir durant quinze jours les espaces hostiles, grimper vers la montagne Auyantepuy, une espèce d’île de rochers cernée par la forêt vierge et finir par descendre en rappel — lui qui sait à peine ce que le mot veut dire — la cascade la plus haute du monde, presque mille mètres de dénivelé, avant d’en faire le récit. Le voyage de Miguel après Le voyage d’Octavio !

Quinze jours de marche dans un milieu inconnu, voilà de quoi exciter l’imagination de Miguel qui, en bon intellectuel urbain, se plonge dans tout ce qu’il peut lire sur la Gran Sabana, au milieu de laquelle va se dérouler l’expédition. Arrivé sur place, il est bien obligé d’admettre que ses lectures et ses connaissances ne lui seront pas d’une grande utilité. Une sympathique autodérision ne le quittera plus. Ses quatorze compagnons de route, eux, ont une certaine expérience de ce genre de randonnée, Miguel semble être le seul à débuter.

L’émerveillement un peu candide du premier jour fait assez vite place aux difficultés du quotidien : la forêt tropicale n’est pas vraiment accueillante, la géographie peu adaptée à des pieds de citadin, les animaux parfois envahissants. Cela, Miguel le savait, mais c’est une autre chose de le vivre. Et il le fait vivre dans ses phrases, lui qui assume sa nature d’écrivain : ce qui pourrait être un simple récit d’expédition se double d’une recherche constante d’une expression juste et souvent fort belle, se triple de questions philosophiques sur la manière de dire, et se quadruple d’un véritable langage poétique. Il s’agit bien d’une poésie vécue, rien à voir avec un alignement de mots pour faire joli, non, la poésie du réel, c’est-à-dire de mots souvent simples dont l’enchaînement fait naître la sensation, l’impression.

Notre “héros”, une fois parti, ne peut plus reculer. Il s’est entraîné avant de quitter la ville, mais il reste l’intellectuel du groupe, un intellectuel vaillant et volontaire, curieux de tout : les mots de la langue pemon, oiseaux ou insectes, mots de la vie quotidienne, et puis ses propres sensations qu’il nous communique avec la générosité de l’homme qui a vraiment envie de raconter à son ami. Cela se termine par la descente en rappel de ce Salto Angel qui exige deux jours, donc une nuit au milieu !

La magie, le fantastique ne sont pourtant jamais loin, on est en Amérique du Sud, ne l’oublions pas. Serait-ce le réalisme magique qui pointe son nez ? Heureusement non, ce n’est que la pure réalité, vécue et transmise par un surdoué de la littérature.