« Aucun texte sur la jungle ne peut rendre la sensation de la jungle ». Malgré cet aphorisme prévenant, Miguel Bonnefoy s’est lancé dans la tâche. Après le succès de son premier roman Le Voyage d’Octavio, finaliste du Goncourt du premier roman, Bonnefoy a décidé d’accompagner une expédition qui gravit côte jungle l’Auyantepuy, avant d’en descendre, le long d’une cascade, les 900 mètres de paroi en rappel. Doté de racines chiliennes et vénézuéliennes, Bonnefoy annonce la couleur : il n’est ni alpiniste ni grimpeur, seulement un écrivain qui accompagne les quatorze hommes de l’aventure comme le peintre de la Marine accompagnait Bougainville. Ils se frayent un chemin a coups de machette pendant une dizaine de jours puis glissent le long des cordes de rappel pendant deux jours. Bonnefoy n’en fait pas des tonnes, et pourtant son style précieux fatigue « je cherchais des mots liquides, des accents écumeux. Comment tailler un adjectif pour qu’il ait la forme d’une racine ? » se demande le jeune écrivain, qu’encombre la cape d’aventurier. Lui devine que l’aventure, la vraie, n’est pas celle-là, qui ferait sourire les grimpeurs, rares, qui ont remonté la paroi que lui va descendre facilement. Surtout l’impression que donne le livre est qu’il traverse la jungle pour l’avoir traversée, comme Gilles Lapouge (qui le tenait de Karl Kraus) le disait malicieusement : « on ne voyage pas pour voyager mais pour avoir voyagé ». Bon restent quelques belles envolées sur les marécages et « l’enfer vert la guerre qui s’y cache » mais un
soupçon étreint le lecteur : Bonnefoy a-t-il écrit ce livre seulement pour l’avoir écrit ?