Dans le premier roman de Miguel Bonnefoy, se déroulant au Venezuela, on suit la longue errance de Don Octavio.

Avant de devenir un bidonville de la banlieue de Caracas, le paisible village de Saint-Paul du Limon connut une gloire éphémère en remédiant à la terrible peste de 1908 ; son église, érigée suite au miracle, n’accueillant désormais d’autres pèlerins qu’une confrérie de cambrioleurs romantiques dont les cibles se résument aux demeures des notables alentour. Étranger aux larcins, mais rendant de menus services à cette communauté, Don Octavio est un être simple, dans la force de l’âge mais rendu mutique par son analphabétisme que seul son ami le médecin Alberto Perezzo semble connaître. Jusqu’au jour où son chemin croise celui de la belle Venezuela, solitaire à force d’avoir été courtisée, qui, séduite par Octavio en dépit de leurs différences sociales, lui apprend à lire, à écrire, lui rend sa dignité d’homme en lui révélant un monde insoupçonné. « Tout les opposait. Et pourtant, sans le comprendre, elle déchiffrait peut-être à ses côtés un alphabet qu’elle ignorait, une promesse primordiale, comme sur la pierre, là où rien ne précède et où, cependant, tout semble commencer. »

L’idylle prendra fin brutalement lorsque, enrôlé de force par la confrérie, Don Octavio se retrouve en habit de cambrioleur face à Venezuela, et choisit l’exil, abandonnant dans sa retraite son existence passée. C’est le début d’une longue errance, parsemée de rencontres qui renforceront sa résilience et l’encourageront à se mettre au service de son prochain avec l’abnégation d’un saint. Mais la rencontre fortuite de son vieil ami Alberto Perezzo, qui lui apprend que la confrérie a été dénoncée et l’église en passe d’être changée en théâtre, incite Don Octavio à revenir dans le village qui l’a vu naître.
Peu de récits dictés par l’imaginaire nous parviennent du Venezuela, patrie que Miguel Bonnefoy avait déjà mise à l’honneur dans Icare, une nouvelle qui lui avait valu de remporter le prix du Jeune Écrivain de langue française en 2013. Le Voyage d’Octavio est son premier roman, dont la concision surprend tant les mots auront provoqué de sensations tout au long de la lecture, tant la fable narrée aura éveillé d’inconscient primaire et immémorial sommeillant en chacun de nous.

Le destin d’un peuple fier qui a toujours su se relever

Car les pérégrinations de Don Octavio, tantôt épiques tantôt empreintes d’onirisme, en appellent à l’enfance aussi bien qu’au chemin parcouru depuis, et dessinent en allégorie à peine voilée le destin d’un peuple fier qui a toujours su se relever face aux aléas de l’Histoire. En réduisant les repères de temps et d’espace au strict nécessaire, en faisant appel à une langue classique et à un vocabulaire précis, Miguel Bonnefoy confère à son roman la patine des récits ancestraux, comme si la narration, débutée dans un Venezuela moderne, remontait le cours du temps, au fil des aventures d’Octavio, jusqu’aux origines de l’homme et du langage.

Article de Laetitia Favro à propos du livre Le Voyage d'Octavio, et publié en janvier 2015 dans Le Journal du Dimanche.