Le Franco-Vénézuélien nous offre une fable poétique et picaresque, magistralement composée.

On avait retenu son nom après la lecture de son recueil, Icare et autres nouvelles (Buchet Chastel), lauréat en 2013 du prix du jeune écrivain de langue française. Aujourd’hui, Miguel Bonnefoy publie à vingt-huit ans son premier et magistral roman, une fable à la fois picaresque, allégorique et baroque, proche du « réel merveilleux » chanté par le Cubain Alejo Carpentier, et que l’on peut également lire comme un récit de formation et d’apprentissage de la vie.

Mais au-delà des aventures rocambolesques et « candidesques » d’Octavio, un jeune analphabète qui dècouvre dans le même temps l’amour et l’écriture, ce conte adresse un hymne au Venezuela, un Venezuela intemporel et doncéternel, véritable personnage de ces pages lumineuses ; le Venezuela, ce « pays tout entier de mangues et de batailles ».

Après une série de mauvaises rencontres (la bande de coquillards menée par le charismatique Rutilio Alberto Guerra, entre autres) et de hasards heureux (la belle comédienne nommée… Venezuela), Octavio parcourt son pays et l’histoire de son peuple. La fable devient alors pure allégorie, chantant la nature « qui guérit tous les maux qu’elle provoque », les paysages, les « sourdes forêts de SanEsteban », les cavernes, les plateaux, les manguiers, les palétuviers, les ceibas et autres gommiers ou mangroves. Et cette allégorie devient d’autant plus poignante qu’elle est portée par une écriture finement ciselée, aux facettes éclatantes. En voici une illustration : « La jungle protégeait ses vestiges. Un amphithéâtre d’arbres s’élevait pour faire de l’ombre aux dessins afin que le soleil ne les tanne pas. L’endroit était isolé de capucins qui par instinct se frottent à la pierre et font disparaître les marques. L’air était empli de ramages pour l’abriter des excréments des toucans. La nature couvait son héritage. »

Donner voix au silence

Italo Calvino nous l’avait dit : les meilleurs écrivains sont ceux qui savent instiller de la poésie dans leur prose ; la poésie et sa justesse, sa précision, ses fulgurances domptées. Un autre exemple : « Là, des grues bleues se rassemblaient pour aller migrer vers d’autres marais. Il s’enfonça sous un épais couvert. La pénombre paraissait à cet endroit comme une autre expression de la lumière. Il découvrit une ancienne construction laissée à l’abandon et un petit pré d’herbages où des ânes noirs venaient paître jusqu’au ventre. »

Né à Paris d’une mère diplomate vénézuélienne et d’un père chilien, Miguel Bonnefoy (aucune parenté avec le poète homonyme) a grandi entre la France (pays d’origine de son arrière-grand-père), Caracas et le Portugal. Ses deux masters, passés à la Sorbonne, il les a consacrés à Louis Aragon et à Romain Gary. Parfaitement bilingue, il a fait le choix d’écrire directement en français, comme l’avaient fait auparavant d’autres Sud-Américains de Paris, tels que le Chilien Vicente Huidobro ou l’Équatorien Alfredo Gangotena. Il y a quelques jours, Miguel Bonnefoy déclarait au micro de France Inter : « La tâche de la littérature sud-américaine est de donner voix au grand silence de notre histoire. » Mission accomplie pour ce jeune homme prometteur qui, il y a encore quelques semaines, parcourait l’Amazonie vénézuélienne, cadre de son prochain roman… Nous l’attendons déjà.

Article de Thierry Clermont à propos du livre Le Voyage d'Octavio, et publié en janvier 2015 dans Le Figaro.