Octavio ne sait pas lire. « Simple, il vit cette simplicité comme une identité. » Mais parfois il en éprouve de la honte. Pour se procurer des médicaments prescrits à même le bois de sa table, le voilà qui descend la colline du bidonville de Saint-Paul-du-Limon, le meuble sur le dos. Quand la belle Venezuela, qui porte le nom de leur pays, lui apprend l’alphabet, elle lui offre donc une « promesse primordiale » : apprendre à lire sa propre inscription dans l’espace et l’histoire, et déchiffrer ce qui l’entoure.
Mû par l' »envie violente de renommer le monde depuis ses débuts », Octavio fait alors un pacte avec l’exil. De Caracas à Maracay, jusqu’aux forêts de San Esteban, entre pommes de lait, mangroves et grenadilles, il marche à travers cette fable, plus pauvre peut-être qu’il n’était, bien plus riche pourtant : « il vivait sans s’inquiéter, sachant qu’il regagnerait le lendemain ce qu’il avait perdu la veille. Dans sa marche, il avait pour le monde un dévouement presque poétique. » Son voyage n’est pas celui d’un mendiant, car il porte sur son dos, désherbant des murets, nivelant des tombes, « le poids intenable de tous les hommes », jusqu’à découvrir, dans une grotte, des hiéroglyphes venus de la nuit des temps ; d’une histoire végétale, avant la civilisation. C’est une fable, on vous a dit : au plus près de l’eau et de la pierre, Octavio va devenir écorce, constituant sa propre grammaire, en décapant, raclant, façonnant l’espace : une statue de bois sur lequel le monde pourra enfin s’écrire. « Plus d’os, plus de muscles, plus de veines : un automne à l’intérieur de lui. »
Une entreprise prométhéenne que ce premier roman, éblouissant, de Miguel Bonnefoy, lauréat du Prix du jeune écrivain. Un voyage initiatique, organique, lente remontée à l’intérieur de l’être, aux sources du mythe.